La probabilité que le PIB français atteigne 1 % en 2014 est faible. Ceci est dû à de multiples facteurs, mais on peut incriminer, entre autres, les effets à long terme de politiques de sous-investissement industriel dont les effets dévastateurs en termes de croissance et d’emploi ressortent plus encore en période de croissance faible au niveau européen. La dégradation de l’Etat économique du pays a démarré en 1973 lorsque la réponse à la très forte hausse du baril de Brent a été combattue par des politiques de relance de la consommation. Ces dernières ont creusé des déficits à l’origine de surchauffes contre lesquelles ont été mises en place des politiques anti-inflationnistes dans les années 1980. La lutte contre les déficits est incontournable, mais également insuffisante dans ce type de situation. Elle n’a été accompagnée ni par une réforme de l’Etat, ni par des politiques d’amélioration de la compétitivité et de modernisation des outils de production, qui sont passées au second plan. Les déficits commerciaux des années 2000 ont été renforcés par la crise de 2008 qui mène le pays à un endettement massif lequel pourrait dépasser les 2000 milliards € en 2014. A titre d’illustration le cas Alstom et la nouvelle carte des régions sont présentés.
Le démontage d’un leader industriel mondialisé : La saga Alstom
Le potentiel industriel du pays est principalement entre les mains de grands groupes industriels et le dossier Alstom est instructif sur les particularités du mécano industriel imposé par les pouvoirs publics à plusieurs grands groupes français.
Dans les années 1980, le groupe est contrôlé par la CGE (Compagnie Générale d’Electricité) et il est le leader mondial dans l’énergie face à General Electric et à Siemens. Il devance également Siemens dans les télécoms. En 1990 le groupe se voit opposer un refus par le gouvernement de prendre le contrôle de Framatome alors qu’il envisageait à travers ce contrôle la maitrise complète des techniques d’une centrale nucléaire. Les pouvoirs publics déplorent aujourd’hui cette absence d’un grand industriel français capable de fabriquer l’ensemble des centrales nucléaires. Dans les années 1990 les marchés financiers sous l’effet du « Big Bang » prêchent la financiarisation de pans entiers de l’économie. Sous l’influence de la théorie de la valeur actionnariale le concept de conglomérat est attaqué avec l’objectif de constituer des entreprises mono activité « les pure players ». General Electric et Siemens y résisteront et leur exemple montre l’intérêt de regrouper des activités caractérisées par des cycles de développement différents et complémentaires sous une seule tête. En France l’arrivée aux commandes de Serge Tchuruk après l’éviction de Pierre Suard, PDG d’Alcatel Alstom de 1986 à 1995, est à l’origine du déclin de l’entreprise qui est encore un leader en France et à l’international à cette date. Ce dernier prône les entreprises sans usines ou encore « Fabless » et concentre Alcatel Alsthom sur les télécoms et vend progressivement toutes les activités du groupe. Au début des années 2000 ce dernier est en difficulté dans un environnement mondial très concurrentiel. Un plan de redressement spectaculaire réduit les effectifs de 110 000 à 65 000 personnes et une recapitalisation par l’Etat français d’un montant de 1,75 milliard € permettent au groupe de remonter la pente. La croissance repart en 2006 jusqu’à la crise de 2008 qui contraint Alstom à mettre en place un plan d’économies. Les résultats du groupe sont altérés par la branche énergie qui représente 71 % de ses revenus. Trop concentrée sur le continent européen et disposant de parts de marchés faibles sur la majorité de ses segments d’activité, la Direction d’Alstom ne parvient pas à redéployer le groupe hors d’Europe. Ce dernier envisage alors son rachat par son concurrent américain General Electric au début des années 2010. Les approches fondées sur la rationalisation financière montrent leur limite face à des conglomérats composés d’activités contra-cycliques. De plus, GE et Siemens ont mis au point des méthodes innovantes pour développer des solutions adaptées aux deux principaux marchés asiatiques à forte croissance : l’Inde et la Chine. Grâce à des concepts innovants de produits et de services, « l’innovation frugale pour GE et l’approche Smart pour Siemens », adaptés aux caractéristiques de ces marchés, ces deux entreprises y ont pris pied avec des fabrications à bas coût face auxquelles Alstom n’était pas compétitif. Sur des marchés concurrentiels l’intervention de l’Etat peut faire capoter les plus belles entreprises. Principalement localisée dans une Europe en faible croissance, Alstom n’a d’autre choix que la faillite à terme ou la reprise partielle ou totale de ses activités par un de ses deux concurrents majeurs. L’activité Transports reste maintenant sous le contrôle d’Alstom après un premier accord signé avec GE en juin 2014, qui devrait être finalisé en 2015, mais elle reste confrontée à une concurrence forte des pays émergents. Il est clair que si Alstom n’est pas capable de développer des modèles d’innovation frugale pour l’activité Transports avec des produits et des services à bas coûts, son avenir n’est pas garanti sur des marchés concurrentiels.
Pour GE, cet accord est une véritable manne. Il conforte sa position en Europe et prend pied dans des activités à fort potentiel, dont 100 % de certaines énergies renouvelables (éolien terrestre, solaire, et géothermie) et 50 % des énergies vertes (éolien en mer et hydroélectricité). Une part significative des leviers de la transition énergétique française passent dans des mains amies !
La nouvelle carte des régions : Is bigger really better ?
Les députés viennent de voter le premier volet de la réforme territoriale qui prévoit une nouvelle carte des régions de France qui passent de 22 à 13, hors les cinq départements et régions d’outre-mer. Le Sénat pourrait faire évoluer cette carte à l’automne prochain. Le second volet de cette réforme renforcera les pouvoirs de ces nouvelles régions au détriment des Conseils généraux. La vie de ces collectivités territoriales s’articule en quatre niveaux : communes, intercommunalité, département et régions. Face à la pression de la mondialisation, la réponse politico-administrative française est la construction de treize super-régions qui disposeraient de plus de moyens. En 2012 la fiscalité locale aura permis la collecte de près de 120 milliards € et les transferts financiers de l’Etat totalisent près de 100 milliards €. Ces sommes ne sont pas négligeables, mais les régions françaises disposent de moyens treize fois inférieurs aux länder allemands financés à 75 % par l’Etat fédéral, le Bund. A titre illustratif, le budget de la région Rhône-Alpes s’établissait en 2009 à 2,5 milliards € et celui du Bade Wurtemberg à 31 milliards €. Les régions françaises sont des poids plumes économiques par rapport aux 16 Länder. Le budget du Bade Wurtemberg est supérieur à lui seul au budget cumulé des régions françaises en 2010 qui atteint 26 milliards €. Ces capacités financières confèrent aux Länder une capacité d’intervention bien plus forte, notamment auprès des entreprises de taille intermédiaire, les ETI qui contribuent pour plus de 30 % à la création d’emplois nouveaux. Ces entreprises de taille intermédiaire (ETI), au nombre de 4 700 en France, seraient deux fois moins nombreuses que les ETI allemandes, lesquelles sont en outre beaucoup plus mondialisées. Cet écart expliquerait pour partie la différence entre la balance commerciale française déficitaire de 60 milliards € depuis plusieurs années et la balance commerciale allemande qui génère des excédents de près de 200 milliards € par an depuis près de 5 ans.
Les ETI françaises voient leur développement ralenti par des charges sociales, une fiscalité et des contraintes réglementaires qui leur sont défavorables selon le rapport de Bruno Retailleau, sénateur de la Vendée, sur « Les ETI au cœur d’une nouvelle dynamique de croissance » remis en 2010 au Premier Ministre d’alors, François Fillon. Les réponses apportées par le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi de Jean-Marc Ayrault en 2012 ont pour objectif de contribuer à réduire ce handicap avec la création du CICE (Crédit impôt croissance emploi). Face à un résultat peu significatif, le gouvernement de Manuel Valls propose au printemps 2014 le pacte de responsabilité et de solidarité qui, outre le CICE, amplifie la baisse du coût du travail « zéro charge » pour un salarié payé au SMIC au 1er janvier 2015, et prévoit une baisse progressive de la fiscalité des entreprises d’ici à 2017. Cet effort de 30 milliards étalé sur trois ans devrait dégager des marges pour les entreprises et favoriser l’investissement et l’emploi dans un environnement concurrentiel. L’économie française se trouve donc à la croisée des chemins et ses entreprises sont en première ligne pour le maintien du pays à la place de cinquième puissance mondiale. La création de super régions sous-dotées financièrement va-t-elle faciliter la vie des entreprises ou déboucher sur le recrutement de nouveaux fonctionnaires territoriaux nécessaires à la gestion du mille-feuilles administratif qui sort renforcé par le vote récent des députés sur les régions ! Rien n’est moins sûr si l’on s’en tient aux pratiques des collectivités territoriales. Les entreprises ont besoin d’un environnement de services délocalisé, de banques qui les accompagnent sur le long terme, et d’un environnement fiscal et réglementaire stable et simplifié. Il est loin d’être certain que des régions plus grandes, mais avec des moyens limités faciliteront le développement des entreprises pourvoyeuses d’emploi privé.
Ces deux exemples illustrent les contraintes de la mondialisation qui pèsent sur l’économie française.
Les erreurs stratégiques sont à l’origine du déclin d’Alstom qui vient de céder une partie des technologies clés de la transition énergétique. Ce déclin est à comparer à la croissance régulière de Schneider Electric (23,5 milliards de CA en 2013) qui a su se mondialiser progressivement en développant des solutions innovantes adaptées lorsque nécessaire aux besoins des pays émergents. La question centrale pour développer l’emploi en France réside dans la capacité de l’exécutif à rendre les entreprises privées plus compétitives pour les mondialiser plus facilement d’un côté et porter le financement du modèle social français de l’autre. Le pacte de responsabilité et de solidarité portant sur 30 milliards est engagé et c’est certainement une opportunité pour les entreprises. Cela sera-t-il suffisant pour pallier à plusieurs décennies de sous-investissements dans l’industrie et les services ?
Par ailleurs, de nombreuses incertitudes pèsent sur l’efficacité des nouvelles régions sous-dotées budgétairement par rapport à leurs homologues allemandes. Elles concernent leurs capacités réelles à contribuer au développement du tissu entrepreneurial, et de l’emploi qui reste la première préoccupation des Français. Le véritable débat concerne le niveau de décentralisation recherché pour ces nouvelles régions et il est loin d’être clos.
Le retour à la croissance s’annonce difficile et probablement long. Il sera conditionné par la réussite et l’approfondissement des politiques mises en œuvre, « compétitivité » pour les entreprises et « décentralisation » au plus près des entreprises créatrices d’emploi pour les régions. Les Français qui participent au financement de ces politiques et les marchés qui achètent de la dette française ont un objectif commun : la réussite de ces politiques qui conditionnent le retour à la croissance !